This post is also available in:
English (Anglais)
Déconstruire la normalité
Ce que l’on considère comme « normal » ou non est si ancré dans le vocabulaire usuel des gens que l’on ne s’arrête même plus pour le questionner, ni même le remarquer. On parle du développement normal de l’enfant, de réactions normales au chagrin, de normes sociales, de développement sexuel normal, de comportement adapté à son âge, de symptômes de dépression normaux, de sources de stress normales de la vie, etc. Ce qui définit ce qui est soidisant normal ou anormal – les critères qui définissent nos jugements et nos actions, basés sur nos comportements et nos pensées, et ceux des autres – imprègne nos vies ainsi que nos institutions sociales et politiques, et façonne notre réalité quotidienne.
En octobre prochain, l’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM) présentera la 6e édition de son Congrès La santé mentale pour tous, dont la thématique sera « Déconstruire la normalité ». Nous invitons les individus et les organisations qui touche de près ou de loin à la santé mentale – praticiens, chercheurs, historiens, militants, politiciens, Aînés, cliniciens, dirigeants politiques, personnes ayant une expérience vécue et fournisseurs de programmes et de services – qui, dans leur quotidien et leur travail, « déconstruisent la normalité », à soumettre leurs propositions de présentation. Le verbe « déconstruire » signifie analyser ou décomposer un concept pour en examiner les suppositions implicites et les contradictions, réduire un objet à ses parties constituantes et comprendre comment la définition d’une chose peut évoluer. Le fait de suggérer que l’on peut déconstruire un concept tel que la « normalité » implique que la définition de ce concept n’est pas fixe, qu’on peut le définir ou l’interpréter de plusieurs façons. Comme les Canadiens continuent à faire face aux enjeux considérables de la COVID-19 – une période que la plupart des gens décriraient comme une rupture par rapport à la « vie normale » –, il semble qu’il s’agit d’un moment propice pour remettre en question la signification de la normalité et poser un regard neuf sur cette notion.
La pandémie a causé des bouleversements sociaux et économiques considérables, ce qui a mené à l’exacerbation du taux de détresse mentale au sein de la population. Face à cette période inhabituellement stressante, un désir profond de retrouver la « normalité » se manifeste. Et si cette normalité était la cause de la situation actuelle? La pandémie a montré que plusieurs aspects de notre société et de nos filets de sécurité étaient déjà inéquitables, injustes, vagues ou inadéquats, mais qu’on mettait ces problèmes de côté. La pandémie nous a forcés à faire face au racisme systémique, à l’inaccessibilité et à la complexité du système de santé mentale, à l’insécurité alimentaire et en matière d’emploi et de logement. Ce sont des enjeux qui étaient déjà présents, mais qui n’ont jamais été aussi exposés et importants qu’à l’heure actuelle. Peut-être qu’au lieu de souhaiter un retour à la « normale », nous ferions mieux de redéfinir la forme que devrait prendre, et que pourrait prendre, la vie normale.
Définir ce qui est normal est particulièrement important dans le contexte de la santé mentale. Le mouvement de l’hygiène mentale – qui a donné naissance au système de santé mentale moderne au Canada – a joué un rôle important dans la construction de la normalité. Même si les défenseurs de l’hygiène mentale ont cherché à promouvoir la santé mentale et à améliorer les conditions des personnes internées dans les asiles, il y a également eu des réformateurs sociaux qui ont institutionnalisé les professions de psychiatre et de psychologue. Ce faisant, ils ont développé un nouveau système de pouvoir qui leur a donné les moyens d’identifier et de traiter des comportements qu’ils jugeaient « déviants sur le plan social », « aberrants » ou qui transgressaient les normes comportementales établies1. Le degré selon lequel les comportements humains ont été catégorisés et rendus pathologiques est apparent dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), le guide qui fait autorité parmi les cliniciens et les professionnels de la santé, qui l’utilisent pour diagnostiquer des troubles de santé mentale. Même si beaucoup de personnes soutiennent que le DSM établit des standards qui peuvent aider les personnes souffrantes en servant d’outil clinique qui aide à diagnostiquer et à traiter les symptômes de troubles mentaux, le manuel définit également les troubles mentaux en fonction de suppositions portant sur les comportements humains « normaux »2.
Alors que le secteur de la santé mentale a activement renforcé les standards de normalité, il a également suscité d’importantes critiques. Étant donné que les notions de normalité ont été construites en fonction des expériences d’hommes principalement blancs, colonisateurs, cisgenres et hétérosexuels, les expériences qui n’entrent pas dans ce cadre sont étiquetées comme étant « déviantes » ou nécessitant une intervention médicale. Les professionnels de la santé mentale, les militants, les personnes avec des expériences vécues, les Aînés, les intellectuels autochtones et les chercheurs remettent en cause la notion de « normalité » et la marginalisation sociale qu’elle entraîne pour les personnes vivant avec des troubles mentaux, des préoccupations liées à la santé mentale ou des problèmes de consommation de substances. Par conséquent, les personnes travaillant dans le domaine du genre et de la sexualité et avec des gens sexuellement diversifiés défient les notions de « sexualité normale », d’hétéronormativité et d’oppression de l’hétérosexisme, et mettent de l’avant la richesse de la diversité humaine3. Les défenseurs des personnes handicapées affirment que les notions de « normalité » et d’« anormalité » sont façonnées par les mœurs et que les handicaps sont une construction sociale et une partie normale de la viei. Le mouvement de la diversité neurologique, basé sur le modèle social de l’enjeu des handicaps, critique la pathologisation de conditions comme l’autisme et le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Le mouvement avance que ces conditions font partie des variations neurologiques naturelles qui surviennent dans la population humaine et qu’elles sont un produit de la grande diversité du génome humain. Les personnes noires et autochtones ainsi que les autres communautés de couleur explorent le lien historique entre l’idée de « race » et de « démence », et le fait qu’on a utilisé la catégorisation, les traitements et l’institutionnalisation psychiatriques comme outils de colonisation avec des pratiques comme l’esclavagisme et l’eugénisme4. Au Canada, les chercheurs autochtones qui travaillent dans le domaine de la psychologie ont remarqué que le système de santé mentale canadien est fondé sur des valeurs coloniales et que les notions autochtones d’une mauvaise santé et du rétablissement diffèrent de celles fondées sur le système colonial5. Lynn Lavallée, notamment, fait valoir que, dans un contexte colonial, il serait plus juste de parler des troubles mentaux comme étant des « blessures de l’esprit » et que le rétablissement est un processus de culture de l’esprit6. Le Cadre du continuum du mieux-être mental des Premières Nations a également offert un cadre de travail pour le mieux-être mental, basé sur des connaissances culturelles, qui rejette l’accent colonial mis sur les « déficits » pour miser sur les forces et la résilience7.
On définit souvent les personnes vivant avec des troubles mentaux ou des problèmes de consommation de substances à l’aide de mots comme « anormales », ce qui constitue un problème puisque cela entraîne la marginalisation systémique et peut donner l’impression à ces personnes de vivre en marge de la « société normale ». Néanmoins, les notions de « normalité » peuvent être considérées comme utiles et positives pour quelques personnes. Par exemple, l’objectif de retrouver la « normalité » peut constituer une partie importante du rétablissement. Le rétablissement peut signifier un retour à leur niveau d’émotions de base ou un retour à leur propre version de la « normalité ».
Cette année, la thématique « Déconstruire la normalité » présente l’occasion d’explorer la signification du mot « normalité », autant passée que présente, et d’envisager comment ce mot de neuf lettres, pourtant banal, a façonné notre façon de voir le mieux-être et les troubles mentaux, ainsi que notre façon de développer le système de santé mentale et de fournir des soins dans ce domaine.
- Richardson, Theresa R. The Century of the Child: The Mental Hygiene Movement and Social Policy in the United States and Canada.
- http://psychrights.org/research/digest/diagnosis/constructingnormality.pdf
- Ristock, Janice L. and Danielle Julien, “Disrupting Normalcy: Lesbian, Gay, Queer Issues and Mental Health. An Introduction,” Canadian Journal of Community Mental Health, 22.2 (2003): 5.
- Kaplan, Deborah. The Definition of Disability: Perspective of the Disability Community.
- Kanani, Nadia. Race and Madness: Locating the Experiences of Psychiatric Histories in Canada and the United States, Critical Disability Discourses/Discours critiques dans le champ du handicap. Vol 3. (2011).
- Lavallee, Lynn F., and Jennifer M. Poole. Beyond Recovery: Colonization, Health and Healing for Indigenous People in Canada, International Journal of Mental Health and Addiction 8 (2010): 271-281.
- https://www.thestar.com/news/canada/2021/01/14/spirit-injury-manifests-in-physical-illness-and-mental-issues-says-strategic-lead-of-indigenous-resurgence.html
- https://thunderbirdpf.org/wp-content/uploads/2015/01/24-14-1273-FN-Mental-Wellness-Summary-EN03_low.pdf
Volets
Ce volet vous invite à soumettre des présentations qui examinent les liens entre les environnements (physiques, socioéconomiques et culturels) et la santé mentale. Celles-ci peuvent s’appuyer sur des expériences vécues, des résultats de recherche et d’évaluations ainsi que sur les interventions visant à questionner la normalité ou les façons habituelles de faire. Dans le cadre de ce volet, nous nous intéressons particulièrement aux programmes, aux pratiques et aux politiques qui font la promotion de la santé mentale, aux pratiques autochtones en matière de résilience et de mieux-être mental ainsi qu’aux approches qui favorisent la collaboration entre les gouvernements, le milieu des services sociaux (éducation, logement, etc.), les militants, les citoyens ainsi que les secteurs de la santé et de la santé mentale. Puisque la pandémie de COVID-19 a changé la façon dont nous faisons la promotion de la santé mentale, nous nécessitons de nouvelles approches qui répondent activement aux déterminants biomédicaux, sociaux, économiques et environnementaux de la santé mentale, mais qui utilisent également de nouvelles méthodes et de la créativité pour promouvoir la santé mentale. En ces temps difficiles, il est primordial de mettre en valeur la recherche, l’innovation, la réforme des systèmes et les actions qui priorisent le mieux-être tout en s’efforçant d’améliorer l’accès aux ressources qui favorisent une bonne santé mentale.
Ce volet porte sur les obstacles qui empêchent les groupes marginalisés (notamment les communautés racisées, les personnes LGBTQ2+, les Premières Nations, les Inuits et les Métis, les femmes, les personnes vivant dans la pauvreté, les personnes ayant eu des démêlés avec la justice, les personnes vivant avec un handicap ainsi que les réfugiés, les immigrants et les nouveaux arrivants) de maintenir et cultiver une bonne santé mentale et d’accéder aux soins de santé mentale.
Les normes construites qui ont mis de l’avant les perspectives des hommes blancs, colons, cisgenres et hétérosexuels et qui ont historiquement structuré nos programmes, politiques, systèmes d'éducation et de soins de santé, ont été liées à des expériences de marginalisation, de discrimination interpersonnelle et systémique, et le manque d'accès aux ressources pour de nombreuses personnes au Canada. Ces communautés, y compris les communautés autochtones, ont été confrontées et continuent de subir le colonialisme et le racisme systémique, ce qui entraîne d'importantes disparités en matière de santé mentale. La compréhension et les soins en matière de santé mentale reposent principalement sur les visions du monde occidentales et ont exclu les visions du monde des peuples autochtones, les approches non occidentales et l'expérience vécue des problèmes de santé mentale ou des maladies mentales. Le mouvement Black Lives Matter (La vie des Noirs compte) a également souligné combien de Canadiens noirs sont victimes de discrimination dans l’accès aux soins, et au sein du système de soins de santé mentale et à quel point les professionnels noirs, autochtones ou de couleur sont sous-représentés dans le domaine de la santé mentale. Ce volet met l'accent sur la création et le développement de services respectueux de la culture, sensibles au genre et inclusifs.
Quiconque a navigué ou aidé d'autres personnes à naviguer dans notre système complexe de santé mentale sait qu'il n'y a pas de cheminement « normal » ou « standardisé » en matière d’accès aux soins et aux services de soutien. Les présentations à soumettre pour ce volet examineront les mesures de soutien aux personnes vivant avec des problèmes de santé mentale ou une maladie mentale, les cheminements cliniques et les systèmes de santé mentale actuels et potentiels. À la suite du COVID-19, les systèmes de soins de santé mentale adhèrent de plus en plus au virage numérique en mettant en place des applications, des forums de discussion en ligne et des groupes de soutien virtuels, favorisant ainsi une meilleure accessibilité aux services. Parallèlement, il nous faut renforcer la littératie en santé mentale et approfondir les connaissances sur l’orientation dans les systèmes, ainsi qu’évaluer d’un œil critique les plateformes numériques relatives aux soins de santé mentale. Alors que nous faisons face aux difficultés psychologiques, économiques et sociales liées à la pandémie, nous avons besoin de recherches plus poussées pour anticiper leur impact sur le système de soins en santé mentale et les intégrer dans les cheminements vers des soins et des services de soutien. En outre, il est impératif d’échanger sur la façon d’assurer et de soutenir les systèmes de soins en santé mentale face aux changements qui s’opèrent dans le secteur des soins de santé.
Ce volet permettra d’explorer comment on peut prévenir et gérer les problèmes de consommation de substances, promouvoir le rétablissement et la réduction des méfaits, et ce, tout en soutenant le mieux-être mental par la recherche, l’éducation, les programmes d'aide, le partage d’expériences vécues, les changements de politiques et la sensibilisation.
Pour plusieurs personnes au pays, la consommation de substance fait partie de la vie normale. Les personnes consomment des substances pour diverses raisons, notamment de façon récréative ou pour se relaxer. Toutefois, l’usage de substance peut aussi être une méthode pour composer avec l’adversité : un manque de relations significatives, des événements traumatiques, des environnements violents et chaotiques de même que le racisme, le colonialisme, la discrimination et la pauvreté ont tous été reconnus comme d’importants contributeurs aux problèmes de consommation de substances. Depuis le début de la pandémie de la COVID-19, on a également signalé une augmentation de la consommation de substances pour faire face à une plus grande détresse en raison à une perte d'emploi, aux difficultés économiques, au chagrin causé par des êtres chers malades ou perdus et à l'isolement social. En Amérique du Nord, les intoxications liées aux opioïdes ont considérablement augmenté au cours des dernières décennies et ont atteint des proportions critiques, en particulier depuis l’arrivée de la COVID-19. Les communautés autochtones ont des taux de consommation de substances plus élevés en raison des traumatismes intergénérationnels et de la colonisation. Compte tenu des graves conséquences pour la santé physique et mentale qui peuvent être à la fois la cause et le résultat de l’abus de substances, s’attaquer au problème est crucial pour la santé publique et la promotion de la santé mentale.
Ce volet s’intéresse au lien entre la santé mentale, l’emploi, l’éducation, la prestation de soins, le bénévolat et d'autres activités qui permettent de trouver un sens à la vie.
Selon le Cadre du continuum du mieux-être mental des Premières Nations, le fait de voir un but aux actions quotidiennes et à la vie de manière générale est une composante nécessaire à l’équilibre des aspects mental, physique, spirituel et émotionnel de la santé mentale, et ultimement, à l’atteinte d’un mieux-être mental. Les individus peuvent donner un sens à leur vie par l’éducation, l’emploi, la prestation de soins, la création et le bénévolat, mais plusieurs Canadiens ayant une maladie mentale n’ont pas accès à ces opportunités, ce qui peut avoir un impact sur leur vie et leurs moyens de subsistance. Dans un contexte de COVID-19, de nombreux Canadiens font face à des défis en raison de l'absence d'activités significatives dans leur vie, car l'éducation, le bénévolat et les possibilités d'emploi ont été suspendus alors que nous luttons contre une pandémie sans fin. Plusieurs ont vécu une perte d’emploi, ce qui est relié à un stress mental, ce qui peut mener à la dépression et à une baisse d’estime de soi. De plus, alors que le travail et les milieux de travail peuvent être des sources de sens, lorsqu’ils ne sont pas sains et sécuritaires en matière de santé mentale, ils peuvent être une source de détresse psychologique. La pandémie a indéniablement créé des tensions supplémentaires au sein des milieux de travail, puisque les employés font face à des risques plus importants pour la santé en raison de l'exposition au virus ou font face aux défis professionnels dans un environnement virtuel.
La pandémie a provoqué d'importants bouleversements sociaux et économiques, entraînant une augmentation de la détresse mentale au sein de notre population. Face à cette période inhabituellement stressante, il y a un grand désir de « retour à la normale ». Mais que se passe-t-il si la normalité est en partie ce qui nous a amenés ici? La pandémie a mis de l’avant de nombreux aspects de notre société et de nos filets de sécurité qui étaient déjà injustes, précaires ou inadéquats, mais qui ont été pour la plupart repoussés en périphérie. La COVID-19 nous a nous a forcés à faire face au racisme systémique, à l’inaccessibilité et à la complexité du système de santé mentale, à l’insécurité alimentaire et en matière d’emploi et de logement. Ce sont des enjeux qui étaient déjà présents, mais qui n’ont jamais été aussi exposés et importants qu’à l’heure actuelle. Peut-être qu’au lieu de souhaiter un retour à la « normale », nous ferions mieux de redéfinir la forme que devrait prendre, et que pourrait prendre, la vie normale. Ce volet vous invite à soumettre des présentations qui explorent certains des problèmes associés à la « vie normale » et la manière dont cela a contribué à la situation difficile à laquelle nous sommes maintenant confrontés en raison de la COVID-19. Les présentations qui analysent de manière critique la façon dont nous pouvons redéfinir la forme que la normalité peut et devrait prendre
Télécharger la version PDF de l’Appel de présentation (thématique).
Soumettez votre présentation ici.